facebook logo Twitter logo

facebook logo Twitter logo

Logo Header
Télécharger dernier numéro
On ne meurt qu’une fois, mais quand ?

On ne meurt qu’une fois, mais quand ?

02-05-2015 à 15:04:13

Une « loi santé 2015 » est en cours de débat au parlement. Un des points débattus concerne le don d’organe. Jusqu’ici, le fondement du droit était celui du don d’organe sur accord explicite du donateur ou de sa famille. Le projet envisage le « prélèvement d’organe » sauf refus préalable du défunt. Anne-Sophie Biclet a proposé une première réflexion dans l’Actuailes n° 34. On verra ici qu’il s’agit d’une évolution juridique importante parce qu’elle porte indirectement sur la définition de la mort. Pourquoi ?

Le don d’organe : un acte gratuit et de charité

Avec les progrès de la chirurgie, il est possible de prélever de nombreux organes d’une personne pour les greffer sur une autre. Certains organes ne sont pas vitaux : on peut, par exemple, vivre avec un seul rein. C’est pourquoi, la greffe d’un des deux reins peut être pratiquée à partir d’un donneur vivant. 

En revanche, il faut prélever les organes sur des personnes décédées quand il s’agit de la cornée de l’œil, du cœur, du pancréas, de l’intestin, du poumon, de la moelle osseuse, de peau, d’artères, de veines, etc.

Or, on constate l’existence d’une véritable « liste d’attente » étant donné le déséquilibre entre le nombre d’organes disponibles et celui des besoins.

Sur le plan moral, on peut parler d’un véritable acte d’amour que l’on exprime par le don de ses organes vitaux. C’est un témoignage de charité qui sait regarder au-delà de la mort pour que la vie l’emporte toujours. C’est également une grande conquête scientifique et un grand espoir pour beaucoup de malades graves.

Malgré tout, il faut élargir le sujet pour analyser les problèmes posés.

Pourquoi modifier la loi ?

Avec la baisse des accidents de la route, et l’allongement de la durée de la vie, on constate une forme de pénurie d’organes disponibles. La loi cherche donc à assouplir les dispositions pour en faciliter l’accès. Parallèlement, les demandes de greffe augmentent du fait des progrès de technologie de transplantation.

La question du consentement du donneur

Jusqu’ici la loi de bioéthique du 6 août 2004 prévoyait que le don d’organe était possible après autorisation préalable clairement exprimée, soit par le défunt soit par la famille sensée le représenter.

Mais, avec la loi de 2015, le prélèvement d’organe serait possible sauf refus préalable clairement exprimé par l’intéressé lui-même.

Ce sont des éléments de langage et de droit importants. En effet, une absence de refus n’est pas équivalente à une autorisation. Les enfants savent bien que ce qu’ils ont le droit de faire n’est pas extensible à tout ce que leurs parents n’ont pas interdit.

Le projet de loi prévoit que le moyen « principal » d’exprimer son refus serait de l’indiquer sur un « registre national des refus ».

Cette évolution du droit pose donc un problème dont il est intéressant de voir toutes les aspects.

On ne meurt qu’une fois, mais quand ?

Cette question demande de définir les conditions biologiques de la mort. Les simples critères d’arrêt des mouvements du cœur et de la respiration sont insuffisants et ne suffisent plus à déterminer la mort ! En effet, les moyens actuels de réanimation, tels que le massage cardiaque, permettent de ramener à la vie des malades dont le cœur était arrêté.

Quels critères retenir pour définir la mort ?

- Dans les temps anciens, la vérification de la mort revenait au « croque-mort », chargé de croquer violemment l’orteil du présumé mort. Cette extrémité du pied, très douloureuse, était privilégiée pour tester l’absence de réaction du défunt.

- En 1947, un décret avait retenu que le critère implicite de mort était simplement celui de l’arrêt du cœur et de la respiration. Mais, souvent, la survie de certains organes, notamment l’ensemble cœur-poumon, peut être maintenue par des dispositifs artificiels bien que d’autres organes essentiels à la vie soient déjà morts de façon irréversible, le système nerveux par exemple.

- Le 5 août 1968, le concept de mort cérébrale a été introduit dans ce qu’on appelle le rapport d’Harvard. Toutefois, ce document n’en précisait pas les critères avec précision. Les Américains disaient qu’il faudrait les établir « en fonction des connaissances ». En France c’est le ministre Jean-Marcel Jeanneney qui a établi une circulaire précisant un peu mieux la méthodologie du constat de décès. Mais, cette circulaire de 1968 se contentait encore de dire qu’il fallait constater la disparition d’activité du cerveau « pendant une durée suffisante ». Ce n’était toujours pas très précis.

- Ce n’est que par un décret du 2 décembre 1996 que les trois critères ont été très précisément définis : il fallait constater simultanément l’absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée (y compris du cœur), la disparition de tous les réflexes du cerveau constatée à quatre heures d’intervalle, et celle de la respiration spontanée. On considère aujourd’hui, que cette définition de la mort est la plus satisfaisante.

- Mais, le 2 août 2005, la France a fait un brusque retour en arrière, sans véritable débat dans l’opinion publique. Le ministre Xavier Bertrand a pris un décret (n° 2005-949) renonçant au critère de « deux électro-encéphalogrammes nuls et sans réaction ». Pourquoi ? Le but était utilitaire. Il permettait d’effectuer un prélèvement d’organe sur une personne, après à un simple « arrêt cardiaque et respiratoire persistant ». En langage courant, c’est ce qu’on appelle le prélèvement sur « donneur à cœur arrêté ».

Le prélèvement sur « donneur à cœur arrêté »

On s’insurge, et on a raison, contre des critères de productivité qui amènent certains à pratiquer le dépeçage vivant, par exemple, de lapins angoras, pour préserver la qualité des fourrures. Peut-on accepter que des délais soient fixés dans les hôpitaux pour garantir la meilleure qualité possible des organes à prélever, sans attendre ni vérifier la mort définitive du patient ?

Les précautions élémentaires ne cessent d’être réduites. Ainsi l’agence de biomédecine a encore allégé la procédure par une circulaire datée d’avril 2007, consistant à faire le simple constat de l’inefficacité des manœuvres de réanimation dans un délai de trente minutes. En effet, un organe devient inutilisable s’il est prélevé trop longtemps après le décès.

Conclusion

Il faudrait également évoquer d’autres aspects comme ceux de la gratuité des organes et celui de l’anonymat des dons.

Mais, pour conclure, il faut surtout évoquer ce principe de liberté de choix dont parlent les défenseurs du projet. Or, concrètement, il s’agit d’une restriction de la liberté. En effet, un testament peut être manuscrit. Pourquoi la volonté du défunt sur son propre corps serait-elle compliquée à exprimer ? Un défunt a le droit de disposer de ses biens par écrit sur un simple papier. Pourquoi aurait-il plus de difficulté à disposer du « bien » qui lui était le plus cher, son propre corps, puisqu’il serait obligé de passer par un registre national des refus !

Par ailleurs, cette loi pourrait arriver à un résultat opposé au but recherché. Par mesure de précaution, de plus en plus de personnes risquent d’exprimer leur refus. En effet, plus on parlera de la possibilité de refus, plus leur nombre augmentera. Ainsi, 87 277 personnes s’étaient inscrites en 2012 sur ce registre national. Ce phénomène s’accélérera si l’opinion publique n’a plus confiance dans certains médecins qui jouent avec le concept de mort. Ils pratiquent des « interruptions de grossesse » quand il y a mort de bébé. Ils envisagent des « sédations définitives » pour ne pas parler d’euthanasie et parlent maintenant de prélèvement d’organes à « cœur arrêté » qui n’est pas nécessairement un critère de mort. Il y a un vrai risque de discrédit de la médecine.

Le projet introduit surtout une grande confusion : un don, n’est pas un dû. Le cadeau d’un donateur n’est pas un droit du bénéficiaire. Plus un don revêt un caractère exceptionnel, plus il doit être consenti.

Sinon, le risque existe qu’on arrive à une mentalité dans laquelle le corps « appartiendrait » à l’État ou à la société. Certains députés l’ont explicitement souhaité. P. L. Fagniez, a évoqué le 10 décembre 2003 l’idée « de transformer l’autorisation de prélèvements en obligation de service publique ». Le même jour, J. P. Dubernard, président de la Commission des affaires culturelles et sociales de l’Assemblée nationale, souhaitait que la société puisse « déclarer qu’après la mort de la personne, les parties de son corps appartiendraient [à la société] sans qu’elle ait à demander l’autorisation à qui que ce soit et sans avoir à présumer de la volonté du défunt ».

Au plan juridique, on introduit une grave confusion, car l’expression « qui ne dit mot consent » ne peut décemment s’appliquer qu’aux vivants.

Pour aller plus loin, cliquer ici.

 


0 vote


Imprimer