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« Locavores » ! Faut-il « consommer local » ?

« Locavores » ! Faut-il « consommer local » ?

09-02-2016 à 22:02:01

Le 14 janvier 2016, un projet de loi a été étudié pour « favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation ». Il s’agit d’encourager l’achat à des producteurs agricoles locaux, d’où le mot « locavore » plutôt que d’acheter, dans un supermarché, des produits venant de régions éloignées. Quelles questions se poser ?

 

Des motifs apparemment légitimes
Les auteurs du projet de loi regrettent que « production et consommation aient été déconnectés ». C’est vrai que le commerce n’a pas pour seul but de satisfaire le besoin d’un client : il remplit aussi une fonction « de lien social » entre producteur et consommateur. Le projet de loi parle également, à juste titre, de patrimoine culturel et évoque les recettes locales qui font de la France un des plus riches pays au plan de la gastronomie.

Une confusion écologique : « consommer local » ou « manger bio » ?
Le texte de loi parle aussi de « mieux prendre en compte les enjeux écologiques et climatiques ». On fait, ici, allusion aux transports consommateurs d’énergies fossiles. Or, les lecteurs d’Actuailes (n° 43) savent que cette question fait l’objet de débats importants. Le projet de loi parle aussi de « valoriser des produits de qualité : agriculture biologique, produits fermiers... ». Il est exact que les produits fermiers ont souvent une qualité gustative supérieure, mais les lecteurs d’Actuailes (n° 32) savent que le « label bio » n’apporte pas de garantie de bonne santé.

Le « locavorisme » : un mythe ?
Il existe des AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) rendant partenaires des consommateurs et des agriculteurs locaux. Les contraintes sont de deux ordres :
– au plan contractuel : le consommateur s’engage à l’avance pour une saison. Il n’a le choix, ni des produits, ni de la date de livraison : il doit, à des horaires limités, aller à un point de livraison souvent plus éloigné que sa supérette locale. Les quantités l’obligent à cuisiner ses produits et à les congeler. Or, en ville, on n’a pas toujours de congélateurs faute de surfaces habitables suffisantes. Quant aux ruraux, ils ont souvent leurs propres potagers. Les familles, dont les deux parents travaillent, n’ont pas toujours de temps à consacrer à la préparation de plats cuisinés. Enfin, le prix est calculé en fonction des coûts de production et non pas au poids de la marchandise. – au plan géographique : la cartographie agricole d’un pays dépend de données physiques : abondance ou rareté des terres, topographie, qualité des sols, conditions climatiques, etc.

Seule une étude détaillée peut évaluer ce qu’il en coûterait de revenir à des systèmes d’approvisionnement réduits à un rayon de quelques dizaines de kilomètres. On comprend que cela impliquerait une disponibilité alimentaire plus réduite comme il y a quelques générations.

Consommer « local » ou « équitable » ?
a) Le concept de « commerce équitable » était fondé sur une double illusion.
– Illusion de vendeurs du label « équitable » faisant croire à des produits meilleurs pour la santé et achetés à un « juste prix » aux producteurs, alors que le prix est celui imposé par le plus fort (Nescafé, par exemple) contre le plus faible (le producteur de café local). Majoré de quelques pourcents, le prix n’y change pas grand-chose.
– Illusion des consommateurs qui s’achètent une bonne conscience de justice, alors qu’ils acceptent des politiques de commerce mondial qui entravent les agricultures pauvres.
b) Aujourd’hui, le concept de « manger local » entretient une autre forme d’équivoque entre :
– des producteurs qui profitent d’une forme d’obligation d’achat dans le temps peu compatible avec les souplesses dont ont besoin les consommateurs dans un monde moderne ;
– des consommateurs crédules dans l’idée que les carburants consommés dans les transports seraient la cause d’un réchauffement climatique, alors que le débat est loin d’être avéré.
c) Le consommateur est donc avide de tous ces labels. Il est versatile et passe aussi vite de celui de « commerce équitable » à son contraire, celui de « consommer local » !

La proximité : une vertu ?
On prétend souhaiter le « maintien de l’agriculture paysanne » de sa région, mais, dans le même temps, les agriculteurs vendent leurs excédents à une coopérative locale qui exporte, à bas prix, dans les régions pauvres. Ces exportations sont rendues possibles grâce à un libéralisme douanier et des règles mondiales d’un commerce injuste et inique qui va à l’opposé du maintien d’une agriculture paysanne dans les pays éloignés qui sont souvent les plus pauvres. Une distance, qu’on l’appelle proximité ou exotisme, n’est pas une valeur en soi.

Conclusion
Attention à ce que « locavore » ne rime pas avec mode et snobisme. Il y a, chez les « locavores », une forme de nostalgie d’un bonheur situé dans un passé imaginaire. De plus, n’est-ce pas une étonnante forme de repli sur soi quand, en même temps, on est prêt à renoncer à une démocratie directe dans notre pays pour une gouvernance mondiale ?

Mot compliqué
Inique: du latin iniquus (« inégal »). Le sens est différent du mot « injuste ». Certaines « inégalités » peuvent en effet être « justes ». Il signifie plutôt inéquitable.


Pour aller plus loin, cliquer sur http://jeunes24.les2ailes.com


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