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Un samedi d’hiver aux urgences

Un samedi d’hiver aux urgences

13-12-2016 à 22:56:03

Comme chaque week-end, les équipes se relaient aux urgences pédiatriques pour accueillir les enfants malades…

 

13h

J’arrive pour prendre la relève du médecin du matin. J’écoute  les « transmissions », toutes les infos données par mes collègues de l’UHCD1 et des urgences sur les patients qui sont là. Attention à Gaspard, un tout-petit de 2 mois de l’UHCD qui a un début de bronchiolite (un virus qui atteint les petites bronches des poumons). À cet âge-là, ça peut vite aller mal. Dix patients transmis, et déjà cinq autres en salle d’attente, la garde s’annonce bien occupée ! Je suis seule avec trois internes2, heureusement en fin d’études, ils connaissent leur métier !

 15h30

Alors que je suis en train d’examiner les oreilles de Margaux, 18 mois, qui a de la fièvre depuis cinq jours et pleure sans arrêt (mais POURQUOI les parents viennent-ils un samedi au lieu de s’en être occupés avant !!!), mon DECT3 sonne. Au bout du fil, je reconnais la voix de Carole, une  puéricultrice (infirmière des enfants) : « J’ai besoin d’aide au déchocage4… » Je lâche tout et cours dans le couloir, son ton ne me dit rien qui vaille.

Sur le brancard, Kilian, 6 ans, respire très bruyamment et avec peine. Ses mains sont glacées, il est exténué. Carole me demande si elle doit préparer un aérosol, en pensant à de l’asthme, mais ça ne colle pas. Son auscultation est normale, le problème ne vient pas des poumons. Il a l’air déshydraté : j’interroge sa maman, très inquiète, qui me dit qu’il a perdu cinq kilos en un mois et qu’il passe son temps à boire. Je sais déjà ce que je vais lui annoncer : son fils a un diabète (une maladie qui empêche le sucre de rentrer dans les cellules), il va falloir désormais qu’il se fasse tous les jours des piqûres d’insuline… pas facile à expliquer en deux mots, l’urgent pour l’instant (après avoir vérifié que son taux de sucre est très haut) c’est de le perfuser très vite, de lui apporter de l’eau, du sel, de l’insuline et du potassium, sinon il peut en mourir. On le scope5, on le rassure ; le remplissage6 commence à faire son effet. La puéricultrice reste avec lui, je retourne voir Margaux.

 18h

Je suis épuisée, il y a du monde partout, les gens commencent à râler en salle d’attente, ils ne comprennent pas le tri à l’accueil : l’infirmière fait toujours passer avant les tout-petits, et en fonction de la gravité du problème. L’ordre d’arrivée ne compte pas.

 

19h15

Appel de l’hôpital voisin, un confrère au téléphone : « Je peux te transférer un petit asthmatique qui a besoin d’être gardé ? Je n’ai plus de place ! » Je fais le point avec l’UHCD : plus que deux places, pas une de plus, et ma salle d’attente déborde. Je refuse, désolée, mais il faut prévoir la suite. J’ai à peine raccroché que c’est le SAMU qui m’annonce au téléphone qu’il m’amène une grande fille handicapée qui a de la fièvre et une mauvaise saturation (le taux d’oxygène du sang, on le mesure avec un capteur au bout du doigt) : j’ai bien fait de ne pas accepter le précédent…

 22h30

Mon interne me demande de venir examiner Lena, 15 ans, la jeune fille amenée par le SAMU. À l’auscultation, ça crépite dans le poumon droit, elle frissonne, elle est en sueur. Elle a déjà son masque à oxygène, la saturation est un peu mieux, mais elle a sûrement une bonne infection pulmonaire et devra passer plusieurs jours à l’hôpital. Nous prescrivons le bilan (examens sanguins), une radio du thorax. Ses parents sont incroyables : ils connaissent par cœur toutes les émotions de Lena, comprennent sa douleur, son inconfort, ses appels. Pourtant elle ne parle pas, ne peut presque pas bouger, ses bras et ses jambes sont tout recroquevillés dans le grand lit, elle est handicapée depuis sa naissance. Ils acceptent sans broncher la décision que je leur annonce de transférer Lena aux soins continus7. Ils ont l’habitude, c’est sa vingt-deuxième hospitalisation. Ils ne pensent qu’à la rassurer et la réinstaller dans le lit. J’ai le cœur plein de tristesse et de joie devant tant d’épreuves et tant d’amour.

 23h

Un papa m’agresse dans le couloir, ça fait quatre heures qu’il attend, il a des invités ce soir, sa fille s’est mis une perle dans l’oreille, c’est incroyable que personne ne fasse rien alors qu’on est payé pour ça, etc. Je le laisse crier un bon coup, l’auxiliaire de puériculture8 me dit qu’il reste deux patients avant elle, je lui explique, il se rassied.

 23h30

« La perle dans l’oreille » est partie voir l’ORL, je n’ai pas réussi avec les moyens du bord à la retirer. Je suis avec Séverin, 5 semaines, qui est tombé de la table à langer sur du carrelage. Sa maman s’est retournée pour attraper un objet, il a glissé. Elle est en larmes, s’en veut beaucoup, a du mal à le lâcher pour que je l’examine. Séverin est tout sourire, me regarde calmement, je mesure son périmètre crânien (la taille de son crâne), palpe sa fontanelle (trou entre les os du crâne que les enfants ont jusqu’à un an pour permettre à la tête de grandir) : elle me semble normale, mais il a une belle bosse à la tempe. Je vais devoir lui prescrire un scanner (un examen radiologique très précis pour voir l’intérieur de l’organisme), les tout-petits sont plus fragiles aux traumatismes. Je l’explique doucement, la maman sanglote de plus belle.

 

1h

Je viens de refaire un tour dans les lits d’UHCD, Gaspard n’a rien mangé au goûter ni au dîner, il commence à avoir du mal à respirer : on rajoute de l’oxygène, une sonde qui va du nez à l’estomac pour lui apporter du lait sans qu’il ait besoin de téter. Heureusement que les puéricultrices sont très vigilantes et toujours auprès des patients, j’en ai huit à gérer en même temps en plus de l’UHCD, je ne peux pas tout voir… Kilian va mieux, on change la perfusion, je commence les explications, il me demande : « Ça va durer jusqu’à quand le diabète ? » Difficile pour lui de comprendre que ça va durer toujours… Je lui explique qu’avec le traitement il pourra avoir une vie normale, faire du sport, aller à l’école, retrouver ses copains. Il faudra du temps à chacun pour intégrer toutes ces nouvelles. Ses parents me disent merci, ils ont eu très peur. J’aimerais leur annoncer de meilleures nouvelles, pourtant…

  2h45

Plus personne en salle d’attente, ouf ! Les internes ont bien travaillé, ils sont pâles mais souriants : « On fait la pause ? » C’est vrai que ça commence à gargouiller, nous n’avons rien pris depuis 13h. Dans la salle de repos, on sort une ou deux assiettes avec des pains surprises, un jus de fruits. Claudette, l’ASH9, arrive en souriant : « J’ai apporté un foie gras ! », tout le monde a le sourire qui s’élargit. C’est vrai que cette nuit, c’est Noël…

On entend à travers la fenêtre la sirène d’un camion de pompiers qui se rapproche. La pause sera brève.

 

1. UHCD : unité d’hospitalisation de courte durée : c’est un petit service qui est réservé aux enfants qui ne vont rester qu’une nuit à l’hôpital ou qui doivent être un peu surveillés.

2. Interne : étudiant en médecine en fin d’étude (troisième cycle). Il est déjà médecin, peut  prescrire, mais n’a pas encore passé sa thèse : il n’est donc pas docteur et doit être supervisé.

3. DECT : le téléphone d’urgence qu’on a toujours sur soi à l’hôpital.

4. Déchocage : la salle où on prend en charge les patients dont la vie peut être en danger. Il y a tout le matériel pour surveiller ou réanimer un patient.

5. Scope : surveillance des paramètres vitaux avec électrodes, brassard, capteur de saturation au bout du doigt.

6. Remplissage : perfusion très rapide d’eau et de sel qu’on donne lorsqu’un patient est très déshydraté.

7. Soins continus : service d’hospitalisation à côté de la réanimation, où vont les patients dont la santé peut se dégrader très rapidement.

8. ASH : personne qui s’occupe du ménage dans l’hôpital.

 

Actuailes n° 61 – 14 décembre 2016

 

 

 

 

 

 

 


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